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Le Chancours
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3 mars 2007

[Etude] Le bouleau - 3

Le bouleau comme arbre grand

La thématique du bouleau comme arbre grand revient régulièrement, que ce soit en pays celtiques ou scandinaves.

Pourtant le bouleau n'est pas très grand, 25m tout au plus, alors que le chène peut atteindre jusqu'à 50 mètres, le hêtre 30 mètres, de même que l'épicéa... Mais  sa sveltesse accuse sa taille, et c'est sans doute pour cela qu'on le considère ainsi, tant il est vrai que ce qui est mince et élancé paraît plus grand.

Dans le Cad Goddeu (Combat des arbrisseaux) (traduction Christian-J. Guyonvarc'h, in Textes Mythologiques Irlandais, éd. Celticum, Rennes, 1980), on en a une claire illustration (je ne cite que les extraits utiles à mon propos, le texte intégral peut être trouvé ici : http://www.arbre-celtique.com/encyclopedie/cad-goddeu-le-combat-des-arbrisseaux-1089.htm)

[...]

Le bouleau, malgré sa grande ambition,
fut équipé tardivement ;
ce n'est pas à cause de sa lâcheté
mais seulement à cause de sa grandeur.

[...]

Le bouleau nous a couverts de feuilles :
il nous désenchante et nous change.

[...]

On a ici deux aspects du bouleau : ambitieux (c'est un arbre pionnier, que l'on appelle aussi « Mère des arbres » chez les anglo-saxons, car il prépare le terrain pour les autres essences), il est qualifié de grand ; il a aussi un rôle de révélateur : « il nous désenchante et nous change » : il rend à leur véritable apparence les arbres enchantés. [Cela rejoint l'aspect du bouleau comme guérisseur, que nous verrons plus tard].

On retrouve aussi cette idée chez Tolkien, qui a créé deux termes pour désigner les arbres en sindarin : orn, et galadh. Je ne résisterai pas à reprendre le fil si bien tissé par Fangorn sur JRRVF, dans la section langues inventées du forum, qui a fait le boulot à ma place :) [fuseau « Fang-orn », (http://www.jrrvf.com/forum/noncgi/Forum8/HTML/000545.html)] (je souligne)

« Christopher Tolkien revient sur cette différence dans les CLI, en II, Appendice E, à propos du nom de Celeborn :
« A l’origine, ornē s’appliquait aux arbres élancés et tout d’un jet, tel le bouleau, alors que les arbres plus massifs et de plus grande envergure, tels le chêne ou le hêtre, étaient dits dans l’ancienne langue galadā, « belle croissance » [great growth], mais cette distinction n’était pas toujours respectée en quenya, et elle devait s’estomper complètement en sindarin, où l’on en vint à appeler tous les arbres, quels qu’ils fussent, galadh, et où le mot orn tomba en désuétude, survivant seulement dans la poésie ou les chants, et dans de nombreux noms propres tant de personnes que d’arbres » (Pocket, vol. 2, p. 153 ; je modifie légèrement la traduction de T. Jolas).

La solution serait alors que Tolkien concevait orne comme désignant une arbre élancé ou isolé lorsqu'il rédigea les Etymologies (c. 35-38), sens qu'il conserva lorsqu'il créa le nom de Fangorn. A noter que dans les Etymologies, alda est simplement glosé "arbre", ce qui tendrait à laisser penser que orne était réservé aux arbres de haute taille (cf. la racine ORO "vers le haut, s'élever, haut" qui donna les noms pour "montagne" en quenya et sindarin).

1) « orne/orn » qui découle de √OR(O)-/RŌ- (Home V, 379, 384 ; Letters, n° 347, p. 426, n. 2), qui signifie « rise up, go high »
2) « alda/galadh » qui provient de √GAL(A)- (Home V, 357 ; Letters, n° 347, p. 426, n. 2), signifiant « thrive, grow ».

Ainsi, en sindarin, « orn » est tombé en désuétude, et « galadh » désigne n’importe quel arbre. Mais si le quenya peut être considéré comme le « latin des Elfes », on pourrait quand même envisager une classification botanique reposant sur la distinction entre orne et alda.

Ce qui m’intéresse, c’est la nuance de sens entre ces deux racines. Les deux ont en commun l’idée de grandeur et de mouvement vers le haut.
Mais Tolkien y introduit une distinction fine quant à la représentation de ce mouvement :

1) « to rise up, to go high » (s’élever, aller vers le haut) insiste sur la direction du mouvement ascensionnel : on a affaire à une flèche (un vecteur) qui pointe immédiatement son but. Le mouvement est un trait vertical.
On comprend alors pourquoi le bouleau ou le sapin en sont les modèles : ces arbres sont élancés, c’est-à-dire qu’ils pointent vers le haut. Regarder un pin, c’est déjà regarder le ciel
(j’y reviendrai dans le commentaire sur les pinèdes de Dorthonion chantées par Fangorn ;-))
L’origine commune (√ORO-) que tu indiques entre la montagne (√ÓROT-) et l’arbre élancé (√ÓR-NI-) confirme ce point : la montagne s’entend comme hauteur, comme sommet, c’est-à-dire comme élévation vers le ciel (là encore, que les pins chantés par Fangorn soient ceux des hautes terres de Dorthonion n’est pas qu’une question de climat, mais de redoublement conceptuel).

Pour anticiper un peu sur mes occupations du moment, l’orne/orn est un arbre de l’air, une « image verticalisante », « une réserve d’envolée », pour le dire comme Bachelard (in L’air et les songes, ch. X, aux § 2 (p. 263) et 5 (p. 274)).

2) En revanche, « to thrive, to grow » (s’épanouir, croître) n’est plus simplement un mouvement d’élévation mais surtout d’expansion. Le mouvement rayonne à partir du cœur de l’être. Le dynamisme vertical s’est enrichi d’une croissance biologique, qui embrasse les autres dimensions.
L’arbre de forme « alda/galadh » s’étend aussi bien en hauteur, en largeur que dans la profondeur de ses racines. Il est animé d’une vie propre, qui se répand jusque dans ses moindres extrémités, des ramilles aux racines.
Les exemples correspondent à merveille : le chêne et le hêtre fournissent dans leur ampleur majestueuse l’image de l’épanouissement du relief.

[...]

Bref, l’arbre aérien est un orne/orn, tandis que l’arbre de vie est un alda/galadh. Sans mauvais jeu de mots, c’est la racine linguistique qui fait l’arbre, le mot qui livre l’image.

(L'extrait est long, mais trop beau pour être coupé :))

[Notons aussi que les mellyrn, pour rester chez Tolkien, sont assimilés aux bouleaux :

« Et seulement au Nísimaldar se plaisait le puissant Malinornë, qui au bout de cinq siècles atteignit une hauteur à peine moindre que celle qu'il avait en Erressëa même. Son écorce était lisse et argentée et ses rameaux se relevaient légèrement vers le ciel comme ceux du bouleau ; mais il n'avait jamais qu'un seul et unique tronc. Ses feuilles ressemblaient aussi à celle du bouleau, mais plus large, et elle étaient vert pâle à l'avers et toutes d'argent à l'envers et chatoyante au soleil ; et elles ne tombaient pas à l'automne mais comme l'or se ternissaient. »

(Contes et Légendes Inachevés, Le Second Age, « Une description de l'île de Númenor »).]

Pour résumer à gros traits, si le bouleau est considéré comme un grand arbre en dépit du fait que d'autres sont bien plus grands que lui c'est parce que son élan suffit à guider le regard vers le haut, sans le perdre dans un « fouillu feuillage » de ramée. Rien d'incisif dans cet élan, tout est courbe douce et ferme, et l'esprit incliné à la rêverie paresseuse s'illumine de la lumière  douce du feuillage... L'arbre est lumineux par son écorce autant que par son feuillage.

Cette rêverie douce et féminine contrepoid parfait à l'aspect masculin des épineaux, orn eux aussi nous mènerait tout naturellement vers le bouleau – arbre féminin, s'il ne prenait pas la fantaisie à votre servante de s'égarer un peu, auparavant, sur la piste du bouleau comme arbre guérisseur...

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Commentaires
L
Merci tous les deux pour ces morceaux choisis de littérature :D<br /> <br /> Soslan/Sosryko : merci aussi pour le deuxième poème que tu as déniché ;)<br /> <br /> Dendropogon/Fangorn : je m'en veux de ne pas l'avoir trouvé, celui-ci !! En plus dans le Prisonnier d'Azcaban, que je pensais presque connaître par coeur ! :D
D
Le bouleau permet aussi de s’envoler, en un sens littéral, toujours plus haut et plus vite. <br /> C’est ce que précise la « fiche technique » de l’Eclair de Feu, le balai magique de Harry Potter ;-)<br /> « (...) Les branches de bouleau soigneusement sélectionnées ont été taillées une par une pour obtenir le meilleur coefficient de pénétration dans l’air, donnant à l’Eclair de Feu un équilibre et une précision insurpassables. »<br /> J.K. Rowling, Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, chap. IV (Folio junior, p. 61)
S
Si le pin invite à regarder le ciel, le bouleau invite à y aller faire un tour, pour y apprendre à aimer la terre :<br /> <br /> "I'd like to get away from earth awhile<br /> And then come back to it and begin over.<br /> May no fate willfully misunderstand me<br /> And half grant what I wish and snatch me away<br /> Not to return. Earth's the right place for love:<br /> I don't know where it's likely to go better.<br /> I'd like to go by climbing a birch tree<br /> And climb black branches up a snow-white trunk<br /> Toward heaven, till the tree could bear no more,<br /> But dipped its top and set me down again.<br /> That would be good both going and coming back.<br /> One could do worse than be a swinger of birches."<br /> <br /> (Rober Frost, Birches, 1916, <br /> poème entier : http://rpo.library.utoronto.ca/poem/841.html)<br />
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